Vendredi 24 janvier à 13h30 """---Le crime de monsieur Lange---"""


Suite de notre thème " polar et  thriller "
Après Collatéral changement de braquet :

Le Crime de M. Lange
Jean Renoir, 1936.

1H25

Scénario : Jacques Prévert et Jean Renoir

Genre : comédie dramatique policier

Résumé réduit : Alors que leur patron escroc prend la fuite, et pour éviter la faillite de leur entreprise, un groupe d'ouvriers d'une maison d'édition fonde une coopérative.

Avec : Jules Berry , Florelle , Sylvia Bataille , Henri Guisol..

Nos commentaires après le film 

Claudine:
Joli moment de cinéma pour moi qui n'avais encore jamais vu ce film . J'ai apprécié, aussi, les quelques échanges avec les habitués du restaurant  
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Alain :
Vous en avez pensé quoi de la pute de service, Edith secrétaire et amante du patron jouée par Sylvia Bataille ?

Christian :
Le loup semble resté sur sa faim.

Dominique :
Excellent film, un vrai régal, et un très bon échange comme chaque fois en cet endroit. merci Alain 

Martine :
Mais Alain.... c'était pas Edith la p.... (elle était juste vénale !!!).
La vraie, celle qui raccole sur la voie publique, c'est celle que rencontre Lange dans la rue elle lui dit "tu me suis ". A part la cigarette à la main, elle avait tout d'une bonne ménagère, ce paradoxe m'a bien amusée. Je ne suis encore pas sortie du tourbillon des dialogues, des mouvements saccadés de la caméra et des "jaillissements "de cette pseudo foule dans un espace aussi restreint.

Christian :
Très juste la remarque sur la secrétaire.
Mais distinguer une bonne ménagère au fait qu'elle n'a pas de cigarette à la main est curieux, de même que déduire d'une femme qui fume qu'elle est une putain...
Ceci étant, fumer nuit à la santé des bonnes ménagère et aussi des putains.

Alain :
Sur la question des rapports hommes-femmes on n'est pas descendu au charbon. C'est le cœur du film si je puis dire. On est en plein marivaudage et à la fois en pleine tragédie. En fait Edith n'est pas réellement vénale, elle aime un salaud et elle aime "porter" bourgeois avec sa fourrure de renard. Elle passe tout à Batala qui la prostitue sans complexe. Le ton est libertaire. Plus à mon avis que dans les films de Carné, même si Prévert est des deux côtés. Il y un humour noir et un amoralisme constant qui est propre à Renoir. C'est vraiment dommage, avec le son pas génial on a perdu en force de dialogue.

Il y a trois femmes. Batala est sur tous les coups, mais aussi Lange, qui finit par faire la bête. Il désire Estelle, mate les jambes de Esther. Mais c'est plutôt une occasion pour Valentine d'affirmer son désir d'elle à lui. Et c'est finalement avec elle que cela va, changement de programme non qu'il soit une girouette, mais comme pour les histoires, il change d'aiguillage et de "scenarii. On ne sait s'il choisit l'histoire ou comme tout artiste si c'est l’histoire qui le choisit, son indécision vis à vis des femmes c'est ce qui fait sa capacité de création ( ce qui renforce la structure en abîme du film). Je crois que la mise en abîme concerne doublement l'art, le désir - ce qui les réunit est-ce la création ? l'artiste est dans un double posture : virile et féminine. Mais n'est-ce pas ce qui relie aussi chacun des membres du couple ? le masculin en la femme s'agence avec le féminin de l'homme. Et la capacité à s'ériger avec celle de recevoir.

J'aime bien l'oxymore dans le titre du film qui correspond à Renoir. Quand bat la fête le crime se perpétue en toute innocence. Lange : ah bon il est mort, comme c'est facile !! et le fils du mécène de Lille : ah je n'ai jamais tué mais dans ce cas le mieux qui est à faire il me semble c'est de se barrer (de mémoire).

Et Batala dans son habit de curé qui demande un curé pour son dernier souffle. En réalité à la fin du film jules Berry quand il est dans l'ombre, est doublé parce qu'il était en train de flamber au casino. Ironie.

Les femmes sont faibles d'un côté (Edith et Estelle : les deux "E", en revanche forte de l'autre (Valentine); Valentine est montrée comme étant à parité avec Batala. Aussi entreprenante qu'il peut l'être lui. J'adore la façon dont elle veut et jouit de son bonheur. Quant à Amédée (Lange) le personnage s'inverse. Les autres restent identiques à eux-mêmes.
Le mot de "travail" dans la bouche de Batala est réjouissant : il est dans le même registre que la valeur travail des libéraux d'aujourd'hui. Un très beau personnage, dont Prévert et Carnet ont sans doute repris les caractéristiques de Batala pour le personnage du diable dans les visiteurs du soir joué par Jules Berry aussi;

Bien aimé le commentaire de Martine, en particulier la formule : "la pseudo foule dans un espace aussi restreint". Cette foule montre une communauté, un peuple où le monde des hommes rencontre celui des femmes. Peu importe les valeurs de virginité, de fidélité. Du passé faisons table rase : Lange à la fin demande à Valentine d'une air soucieux, mais que faisais-tu "avant". Valentine répond : tu veux vraiment le savoir? lui, pressentant quelque chose : "non jouissons du temps présent". Il sort du champ et on la voit qui renverse la tête rayonnante de bonheur. De façon inversée, comme Batala elle a obtient ce qu'elle veux. J'ai pensé qu'elle cachait son passé avec Batala et peut-être son passé de prostituée, Edith prenant le relai. Me touche autant que le personnage d'Edith dans son amour éperdu tout aussi tragique au fond que celui d'Estelle, la ligne de fuite finale sur la plage quand le couple Lange et Valentine passe de France en Belgique. Ainsi que le peuple (bis) du café qui leur délivre un laisser-passer, une internationale qui prend parti contre l'exploiteur.

Renoir renonce rapidement à l'espérance politique. de 1936 à 1939, à partir du"crime de Monsieur Lange ", en trois ans il réalise 7 longs métrages .... et demi (Partie de campagne); ce sont ses meilleurs. De film en film il fait de mieux en mieux. Le dernier "La régle du jeu" est son chant du cygne , un film de génie, avec la grande déception (illusion) de Renoir ne pas avoir été compris . Un virtuose.


Martine
On n'est pas descendu au charbon dans ce domaine. Merci, donc pour ce commentaire.
Un autre domaine l'a emporté bcp + politique ... j'en retiens le mot de la fin de l'ami africain.
Christian j’ai entendu mille fois dans ma jeunesse "fumer dans la rue ça fait mauvais genre" . Désolée de mes réflexes pavloviens " catho coincée" ?
Du coup, je ne sais plus qui était qui ?
Je n'ai retenu que Valentine qui part avec Lange. J'ai aimé sa féminité "conquérante " et au final son bonheur absolu, avec l'Homme qu'elle s'est choisi. Pour l'époque, c'est une femme d'avant-garde ?
 Ce dernier plan du couple qui s'éloigne, est apaisant en regard du tohu-bohu

Alain
Qui était qui et qui était avec qui
Edith c'est la secrétaire, Estelle c'est la jeune blanchisseuse enceinte par Batala. Et la prostituée de la rue que finit par suivre Amédée Lange. Enfin Valentine. Quatre modes de la sexualité masculine ?

Martine
Question ouverte ... pas très envie d'en parler. J'ai été sensible à l'amour romantique, désintéressé et partagé entre Estelle et son amoureux. Ca me fait penser aux cartes postales de l'époque : 2 amoureux, l'homme moustachu de préférence, la femme en robe à fleurs, entourés d'un cœur ou d'un énorme bouquet de fleurs. Ma grand'mère en avait une pleine boite.
L'autre modèle d'homme : Amédée Lange, "celui qui tombe du côté où ça penche", Valentine l'a compris et l'a conquis. Hum !!! pas ma tasse de thé. Pour le reste (Batala), c'est le prédateur/séducteur/ tombeur/tricheur/menteur/violeur. No comment.

Martine
Désolée de noter mes impressions personnelles
Par ailleurs, les réflexions sur l'organisation du travail, (coopératives) les relations au travail, les relations interpersonnelles furent fructueuses.
              
Elise
 Merci les amis pour vos impressions... ça me donne envie de le voir...

Alain

Juste une nuance mais de taille  :)  : Que Batala soit un violeur, n'est pas ce que dit le film. Le film le montre comme un séducteur. Lorsque Batala s'avance pour embrasser Estelle, les personnages sortent du champ on ne voit pas ce qu'il se passe). Quand ils se séparent, Estelle ne se comporte pas avec lui comme avec un agresseur : il y a une incertitude essentielle qui fait que dans le dispositif d'exploitation, de domination "victimes" et "bourreau" se retrouvent à parité de responsabilité.

A parité avec deux autres termes :  les circonstances (l’accident de Charles le jeune cycliste qui dessert son amour pour Estelle. Ainsi que la trajectoire de chacun (son passé, - ce passé que Valentine met de côté- affleure constamment). La part du destin si on veut, de destin social. Estelle n'a pas connu son père, elle reproduit. Les créateurs du film Renoir-Prévert-le groupe Octobre ont introduit une part de reproduction sociale. Mais le film montre que la part de jeu collectif est plus importante que les dimensions du destin personnel et des circonstances.

Les circonstances c'est aussi qu'on a aperçu Amédée Lange et Estelle dans le métro ensemble quand ils sont allés faire la promenade où Estelle a refusé les avances de Amédée ; C'est que la concierge, mère de Charles, dit à Estelle que son fils ne veut plus la voir, profitant du fait qu'il est alité après son accident en quarantaine.. elle aimerait qu’il ait un meilleur parti qu’avec une fille de l’assistance publique. La fenêtre étant bouchée, Charles et Estelle ne peuvent communiquer. Ce dernier aspect construit une métaphore très forte. C'est parce qu'il y a un panneau de publicité qui masque la fenêtre de la chambre de Charles qui batifole avec Estelle que les deux amoureux sont séparés. C'est le système d'exploitation économique qui les sépare. Le système économique empêche le rapprochement des gens, les sépare. D'où le geste réel et métaphorique d'Amédée, une fois que Batala est porté disparu, de déclouer le panneau publicitaire qui obture la fenêtre de la chambre, qui permet le rapprochement des amoureux, mais aussi de redonner de la vie à Charles, le remettre en contact avec les autres.

Mais avant ça le quiproquo est installé : Estelle se laisse enfermer par Batala. Qui certes est intrusif. Mais Renoir-Prévert ne lui donne pas toute la responsabilité d'un viol. La musique tragique de cette fin de séquence me fait penser à celle de "Parti de campagne" au moment où le canotier arrive à ses fins face à l'ingénue (Sylvia Bataille) allongée sur l'herbe avec son séducteur et ne voudrait qu'écouter le chant d'amour d'un rossignol dans les branches et la sensualité de la nature qu'il lui fait découvrir. Elle se relève la mine sombre après un fondu au noir. Tout comme Estelle a le visage sombre en partant de chez Batala. Deux ellipses identiques. Et j'ai longuement mouliné pour savoir s'll s'agissait d'un forçage. Alors que l'on voit Henriette (Sylvia Bataille) s'abandonner et se faire déflorer volontairement dans les désillusions d'une première fois. Il est possible que Renoir se soit servi de la séquence du Crime de monsieur Lange puisque le tournage des deux films n'est séparés que de quelques mois.

Il n'y a pas eu viol mais une fois de plus opportunisme. On voit bien la différence avec les dispositions de Valentine, qui envoie balader Batala chaque fois qu'il essaie de la ravoir. Ou au contraire d'Edith qui ne cesse d'en redemander et qui dès lors est mise à distance, parce que trop consentante, cela dérange le séducteur. C'est par dépit et sans doute besoin de tendresse qu'on peut imaginer Estelle se livrer à Batala.

Ce n'est pas que du drame c'est une tragédie. La victime a sa part de consentement car elle pense que le jeune cycliste l’a abandonnée. C'est l'intérêt du discours de Renoir de monter les relations homme femmes comme dans une espèce de carrousel de la comédie humaine qui donne le vertige.

En quoi la part de jeu individuel/collectif est-elle plus importante que la détermination social ou les circonstances ? : Par exemple dans le fait qu'Amédée Lange finit par convaincre Charles la jambe plâtrée dans sa chambre que non Il n'y a pas d'histoire entre lui et Estelle et que tout cela il l'a inventé tout comme il invente les histoires de son feuilleton. Il a besoin de toute son énergie pour le détromper. Là il se révèle un homme. J'ai envie d’y voir une métaphore : nous nous racontons des histoires dans la façon dont nous nous avons de nous adapter aux autres et quand nous les partageons ça va mieux. En terme lacanien c'est par l'autre que nous recomposons un autre rapport à L'Autre. Sans que je ne sache au juste où se situe le réel "d'un autre à l'Autre" ? Cela me semble indissociable. Ce que montre le film de Marianna Otero "A ciel Ouvert".

C’est aussi "Une séparation" le film de Ashgar Farahdi que nous avons vu il y a 15 jours à Bottière qui m’y fait penser. Le jeu n'est donc entre la fabulation et la vérité vu d'avion et objective. Mais que la vérité ressort du partage des points de vue des "acteurs" de la situation. Ces points de vue sont des fables, ils sont parlés. Ils sont poétiques, des inventions. Cela me fait penser au fameux titre du bouquin de Castoriadis : « L’institution imaginaire » de la société ».
L'exploitation est un système dans lequel les acteurs y sont à parité non pas de puissance mais de responsabilité.
Une autre séquence le montre dans le film : quand le subventionneur de l'imprimerie, (le Capital) en la personne du fils de l'industriel qui vient de Lille accepte de s'ouvrir à la nouvelle perspective de la coopérative ouvrière. Fameuse séquence commedia del arte où le fils de l’industriel dit "je n'aime pas les nœuds papillons" et que l'ouvrier répond : "moi je n'aime pas les pochettes", et le fils de l’industriel lui répond :" moi non plus ": et tout d'un coup ils éclatent de rire et se disposent dans une autre posture où ils sont côté à côte, et non plus face à face, dans un projet commun.
 




Un avis de critique expérimenté : « Monsieur Lange est de tous les films de Renoir, le plus spontané, le plus dense en miracles de jeu et de caméra, le plus chargé de vérité et de beauté pure, un film que nous dirions touché par la grâce. » » François Truffaut


Du beau monde et un sacré ménage... "Le crime de monsieur Lange" est l'unique rencontre de Renoir et de Jacques Prévert - et avec le groupe" théâtre prolétarien" Octobre" que sa compagne et monteuse de l'époque, Marguerite dit Renoir, lui fait rencontrer ainsi que Sylvia Bataille (futur premier rôle de "Partie de campagne"), Raymond Bussières, Brunius, Roger Blain, J-L Barreau, Mouloudji Yves Allégret et Jean-Paul Le Chanois ou Paul Grimault.... On trouvera de belles images de Sylvia sur notre blog http://partiedecampagne.blogspot.fr/
Dora Maar photographe de plateau sur "Le crime de M.Lange" rencontre Picasso en délaissant Eluard.

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